Qui vient après le Sujet ? Le Citoyen, répond Étienne Balibar, saisi
non plus dans une souveraineté solitaire, mais dans une communauté en
devenir. Cependant l’égalité des droits que proclame la modernité
n’exclut pas la ségrégation et l’exclusion. Dans ce grand entretien, le
philosophe s’explique sur ce paradoxe qui nourrit aussi sa méthode
d’analyse.
L’ouvrage d’Étienne Balibar, Citoyen-sujet et autres essais d’anthropologie philosophique
(PUF, 2012), tient son titre d’une réponse à une question que Jean-Luc
Nancy, en 1989, avait lancée à tout un ensemble de philosophes français
d’orientations diverses : « Qui vient après le sujet ? » La manière de
comprendre cette question en guide déjà la réponse : elle peut être
saisie comme une question post-structuraliste, qui se demande ce qui se
substitue au sujet, ou ce qui le relève, après le moment philosophique
qui en fit la déconstruction. Étienne Balibar répond : « après le sujet
vient le citoyen » – et s’en explique dans une série d’essais qui
montrent comment le sujet est contesté de l’intérieur par une altérité
qui certes le destitue de sa souveraineté solitaire, mais avec laquelle
en même temps il compose une communauté toujours inachevée. Toute la
réponse de Balibar repose sur une dialectique entre d’un côté le sujet
compris dans sa double dimension, anthropologique (sujet conscient,
sujet affecté) et politique (sujet soumis au pouvoir, sujet de droits)
et de l’autre le citoyen, ou mieux : le concitoyen, de telle sorte qu’on
ne saurait concevoir un devenir citoyen du sujet (le sujet comme être
en commun), sans penser du même coup un devenir sujet du citoyen (le
citoyen émancipé dans un processus de subjectivation).
Après le sujet vient donc le citoyen, ou plutôt : le citoyen-sujet,
dans une communauté politique où l’universel (l’égalité des droits) est à
la fois ce qui sauve et ce qui exclut : les différences
anthropologiques (différences de classe, de race, de sexe…) y sont « à
la fois disqualifiées en tant que justifications de
discriminations au niveau des droits fondamentaux des “êtres humains”
(dont le premier, ou le dernier, qui reprend tous les autres en son
sein, est précisément l’accès à la citoyenneté), et disqualifiantes en
tant que moyen privilégié de légitimer les ségrégations ou les
exclusions intérieures qui privent de citoyenneté (ou de citoyenneté
pleine et entière, “active”) une partie des êtres humains formellement
“égaux en droits”. En d’autres termes, elles réalisent ce paradoxe
vivant d’une construction inégalitaire de la citoyenneté égalitaire »
(p. 27).
Nous avons demandé à Étienne Balibar de revenir sur ce paradoxe, en
commençant par une question de méthode : comment lit-il les philosophes
(Descartes, Locke, Rousseau, mais aussi Marx, Hegel, Freud ou Kelsen)
qui nourrissent ses essais ? Quelle est sa stratégie d’écriture ? Cette
stratégie est tout à la fois bien déroutante et très stimulante,
puisqu’elle n’apparaît pas tant comme une analyse des doctrines
consacrées par l’histoire des idées, ni même de leurs œuvres – que de
textes précis, particuliers, en lequel il s’agit de rechercher et faire
travailler « un point d’hérésie »... P. S.
1/ Vous reprenez à Foucault la question du point d’hérésie, qui vient contester ou renouveler l’idée d’épistémè. Qu’est-ce que ce point d’hérésie ? Comment se manifeste-t-il par exemple chez Descartes ?
2/ Du point d’hérésie à l’anthropologie
3/ Le paradoxe de l’universalisme bourgeois
Balibar5 di laviedesidees
Propos recueillis à Paris par Nicolas Duvoux et Pascal Sévérac.
Prise de vue et montage : Ariel Suhamy.
par Nicolas Duvoux
&
Pascal Sévérac [28-09-2012]